Chroniques : Le 2 octobre 2019 - Retour au Japon
Il fait encore chaud, collant, humide, mais Les cigales se sont tues, et nos soirs s'illuminent du chant plus fin et plus élégant des cri-cris de la nuit. Presque complètement émergée des affres du décalage horaire, voilà une petite semaine que je suis rentrée de France, au Japon mon pays d'exil, mon refuge peut-être, réimprégnée des terres, de l'air, de la nourriture, de la culture, de la langue dans lesquelles j'ai grandi et qui on construit la base de mon identité, où je ne suis pas une étrangère autant physiquement que spirituellement, où me trouver là relève du tout à fait naturel, d'instants "sacrés" auprès de ma famille, de retrouvailles avec mon amie de la 6e que j'avais retrouvée sur Facebook. Croatie, mer cristalline, Dubrovnik, véritable musée à ciel ouvert aux vertigineux remparts surplombant les milliers de toits rouges de la ville et l'immensité de la mer. L'Alsace, ma région natale, Colmar. Que l'Europe que j'ai quittée est belle et riche en architecture, peinture, sculpture, statues, visages de pierre aux expressions burlesques jusqu'à des endroits les plus inattendus. C'est ce qui m'a particulièrement frappée cette année, et c'est drôle, j'ai découvert tant de choses auxquelles je n'avais jamais prêté attention auparavant, durant tout le temps où j'ai habité Colmar! L'éloignement, nous apprend vraiment à mieux nous connaitre, et mieux savoir d'où l'on vient! Je remercie le ciel alsacien d'avoir toujours été si bleu en ce mois de septembre, sous lequel j'ai aussi dû dire adieu à ma chère grand-mère.
Retour donc dans ma réalité quotidienne. Dans la grande librairie Kinokuniya du sous-sol de la gare centrale l'Osaka, Uméda, au rayon des livres étrangers, parmi les quelques, si peu, livres en français, mon attention est attirée par un ouvrage de l'UNICEF, "Exils", un recueil de nouvelles. Je le prends. le vendeur y insère en cadeau un marque-page illustré d'une publicité pour une exposition, le couvre soigneusement de papier recyclé imprimé du logo du magasin afin que je puisse le lire en toute discrétion dans le train sans que les personnes debout où assises face à moi ne puissent voir de quoi, il s'agit, le titre, le thème, pas comme eu Europe, sur les transats au bord des plages, des piscines, où les vacanciers n'ont pas peur d'exposer leur Musso, leur "Danse avec les loups" broché à la vue des passants. Non, ici cela, mon Dieu, révèlerait certaines choses sur le lecteur, sa personnalité, ses centres d'intérêt, son niveau de culture... Oui, dans l'espace public au Japon, on doit, on aime, rester neutre, ordinaire, homogène, comme tous ces visages insipides sans expression qui se croisent et sont "tout le monde". L'ordre et la sérénité japonaises si agréables impliquent effacement de soi, et, par conséquent manque d'humanité. Aucune émotion, aucune expression de soi n'a sa place au risque de paraitre égocentrique ou carrément vulgaire. Comme une bonne Shufu (femme au foyer), car je le suis à temps partiel, je vais faire, une fois de plus mes courses. Non, c'est donc vrai, il ne faut pas dire "bonjour à la caissière". Vide. "Irasshaimasé" (bienvenue dans le magasin) me dit-elle poliment sur une note sereine "Avez-vous votre carte de points et votre ticket de parking? Cela fait 1500 yen". Je lui tends ma carte de crédit qu'elle insère dans sa machine. "Elle est périmée" avance-t-elle le regard interrogateur auquel je devrai répondre par un plan B. "Oups, c'est vrai, nous sommes déjà en octobre! Ah haha, mince, j'ai bien reçu la nouvelle mais je n'ai pas pensé à la changer pardon" lui réponds-je un sourire navré et complice. "Oh, ça arrive" "AaaaH tsts"où quelque chose dans le genre en me rendant mon sourire aurait été, selon moi, normal et humain de sa part. Mais non, son regard interrogatif se poursuivait indifférent, l'air de dire "cause toujours tu m'intéresses, rien à faire de votre vie madame", jusqu'à ce que je lui tende des espèces. "En espèces, merci au revoir" continue-t-elle comme robotisée, reprenant de suite le "Irasshaimasé" pour le client suivant. Vide. Aucune convivialité aucune, pas de "bonne journée", ni de "ca va aujourd'hui" ou de "ca fait longtemps", alors que je suis tout de même une grande habituée de ce supermarché. C'est que je viens de France moi! Si l'atmosphère de sérénité au Japon, d'une part apaise, elle ressemble aussi à un vide, comme celui des moines lorsqu'ils méditent, sans désir, sans passion, des âmes transparentes à l'existence refoulée, dans des corps sans expressions... Et la question me revient encore: sont-ils VRAIMENT heureux de cette manière??? Apparemment oui, puisque lorsqu'ils se trouvent en France par exemple, ils vivraient une pression stressante à les rendre malades de toujours devoir, ne pas avoir "besoin", mais DEVOIR , c'est comme ça qu'ils disent le ressentir, exprimer leur opinion, leurs sentiments. Enigme, mais bon, j'ai bien d'autres choses à faire que de m'épancher éternellement sur cette ingrate métaphysique. En France, c'est l'extrême inverse. Il serait bon que l'humain trouve un jour le juste milieu! Ceci dit, pour la tradition des livres couverts, personnellement j'y trouve un côté pratique tout de même, qui permet de lire à propos de sujets délicats ni vu ni connu en public! Mais ... c'est que je suis tout de même curieuse de savoir ce que les autres lisent!
Je retrouve mes étudiants joyeux qui ont l'air ravi de me revoir. Motivant. Ils me disent que j'ai une belle forme de tête, c'est à dire rebondie vers l'arrière, contrairement à eux qui sont plats, ah là là. Ils me demandent si en Europe, on couche les bébés sur le ventre où sur le côté, contrairement au japon où on les couche sur le dos... Moi, surprise par cette question:"Bien sûr que non!" Eux:"Ce ne doit pas être à cause de ça que nous sommes plats alors... " Mais qu'est-ce qu'ils vont chercher??? Silence. Commençons la nouvelle leçon...
A très bientôt!